RECONNAISSANCE
Où que vous alliez, les apparences se transforment, mais l’expérience de vie demeure la même. L’humain qui approfondit le voyage devient de plus en plus sédentaire. Le nombre de destinations diminue, mais l’intensité de l’expérience croît. Vous possédez en vous-même toute la vie. Devenez présent à celle-ci, à chaque instant, et remerciez-la.



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ARTICLE

Confidence d’un cœur
Par Élaine Drolet
 
Le cœur d’une femme

Youpi ! J’arrive… Je viens de naître. On m’a donné un corps de femme.
Je bats très rapidement, c’est que je suis très excité. Il paraît que l’expérience à laquelle on m’invite sera pleine d’émotions. Moi, les émotions, j’adore ! J’en renferme déjà tout plein : l’émerveillement, la sensibilité, l’intuition, la vulnérabilité, l’intériorité, pour ne nommer que ceux-là. C’est drôle, un corps. C’est comme un barrage entre moi et le monde, à moins que ce ne soit un pont…


Enfin, je verrai. Wow ! C’est quoi cette chaleur et cette douceur qui m’envahissent ? Je me sens si bien. Il y a une voix, une femme, elle dit :

«Comme tu es belle, comme tu es parfaite, viens là, maman t’aime tant.»

Outch ! Quoi encore, qu’est-ce qui arrive. Ce n’était pas une sensation agréable, ça. Mon corps a eu mal, j’ai peur. Après tout, ce n’est peut-être pas si merveilleux de venir au monde. C’est qui, celui-là ?!

– Jonathan, c’est ta petite sœur Jennifer… Ne la bouscule pas, elle est si fragile, tu es son grand frère, tu dois la protéger.

– Mais elle n’est pas belle, je ne l’aime pas.

Ça y est, je bats à nouveau très vite, mais cette fois, ce n’est pas agréable. Je voudrais disparaître de mon corps quelques minutes pour ne plus sentir le froid qui me glace.

Oh ! Attendez une seconde… Je reste. Mon rythme a ralenti, que se passe-t-il ? Encore cette voix de femme, mais, en plus, le contact de son corps. Je me sens rassuré, apaisé, content.

« Tu avais faim, ma belle, ne t’en fais pas, tu ne manqueras jamais de rien. »

Mes pulsations diminuent encore davantage. Le corps qui m’enveloppe m’apparaît lourd.

– Bonsoir, mon chéri, est-ce que ta journée a été bonne ?

– Oui, j’avais hâte de revenir et de prendre ma fille dans mes bras.

– Mais elle dort, attends un peu…

– Pas question, depuis le temps que je veux une fille, je vais en profiter. Viens là, ma mignonne, tu es si jolie, à qui ressembles-tu ? Les yeux de ta mère, le nez de ton père, tout un mélange. Peu importe, c’est ce qu’il y a dans ta tête qui compte. Tu seras intelligente, déterminée, tu réaliseras de grandes choses, tu seras notre fierté.

Je me sens dérangé. J’étais si confortable tout à l’heure. Je sens la bienveillance, mais j’ai comme un pincement, une pression.

Je bats fort. J’étais si enthousiaste en arrivant. C’est quoi l’intelligence, de grandes choses et la fierté ? Je ne comprends rien à ce langage, j’étouffe un peu. Je ne me sens pas devenir quelqu’un, je suis déjà, est-ce qu’on l’a remarqué ?

– Ma mère vient voir la petite ce soir, cela ne te dérange pas ?

– On avait convenu que nos familles viendraient plus tard cette semaine… Je suis si fatiguée. Tu comprends, j’allaite, et puis il y a Jonathan…

– Jamais je ne refuserai à ma mère le bonheur de voir sa petite-fille aussi souvent qu’elle le voudra. En choisissant d’avoir un autre enfant aussi rapproché du premier, tu savais dans quoi tu t’embarquais…

Je m’affole, je crois que je vais sortir de mon corps. Je me sens si vulnérable, à la merci d’une très grosse tempête qui couve. Je suis impuissant, je rétrécis parce que je voudrais disparaître, il n’y a pas de place pour moi dans ce corps. Je n’ai pas le droit d’être ici.

On dirait que, depuis ce matin, j’ai fait un très long voyage. Je me sens épuisé. C’est vrai que cette expérience s’annonce pleine d’émotions. Parfois, j’ai l’élan de m’ouvrir, d’autres fois, je veux me refermer, cela dépend. De quoi au juste ? Tout est sensation. La voix  de cette femme me réchauffe, il y a tant d’amour. L’amour, c’est chaud et doux. Les mots de mon frère m’inquiètent, c’est dur et dévitalisant. Le sein de ma mère, c’est sécurisant. Les propos de mon père me troublent.

J’ai l’impression que l’on joue au yo-yo avec moi. Si c’est ça, la vie, j’ai besoin de m’accrocher. Il est vrai que je suis si sensible. Enfin, demain est un autre jour…

À la prochaine !