RECONNAISSANCE
Où que vous alliez, les apparences se transforment, mais l’expérience de vie demeure la même. L’humain qui approfondit le voyage devient de plus en plus sédentaire. Le nombre de destinations diminue, mais l’intensité de l’expérience croît. Vous possédez en vous-même toute la vie. Devenez présent à celle-ci, à chaque instant, et remerciez-la.


ARTICLE
La terre, la femme
la vie et vous...
Par Élaine Drolet


Il y a quelques années, je célébrais Noël avec un couple d’amis, parents de deux enfants, un garçon et une fille. Gloria, ma copine, est une femme émancipée et déterminée, qui avance dans la vie en prônant des principes d’équité et d’accomplissement personnel. Ceux-ci se veulent dégagés des stéréotypes de genre, qui dictent souvent les chemins que nous emprunterons ou que nos enfants suivront pour se réaliser. Aussi, je ne fus pas surprise de la voir offrir à sa fille de deux ans, parmi ses cadeaux de Noël, un magnifique camion de pompier rouge.

Toutefois, mon histoire ne s’arrête pas là. Alors que nous étions affairés à fêter entre adultes, nous avons perdu un peu de vue les enfants et nous nous sommes soudain aperçus que la petite Marie n’était plus au salon avec nous. Étonnés et un peu inquiets, nous l’avons cherchée dans toute la maison pour finalement la retrouver au sous-sol, dans la salle familiale. Elle jouait calmement avec son camion. En vérité, elle jouait très calmement, puisqu’elle avait enveloppé ce dernier dans son doudou préféré et elle le berçait en chantant.

Je n’oublierai jamais ce moment. Ce petit bout de femme avait tellement d’amour et d’attention dans les gestes, tellement de douceur et de sensibilité, que j’en étais émue aux larmes. Il y avait tant d’authenticité et de spontanéité dans sa façon de chérir ce qui était précieux à ses yeux. Ce qui se manifestait, à ce moment-là, dépassait largement le cadre des constructions intellectuelles ou médicales de genres. Aucun faux-semblant, c’était la vie intrinsèque d’un être humain dans son essence.

Je me sentais bouleversée. Pourquoi ? Sa fierté d’être elle-même remettait en question ma propre capacité de reconnaître et d’apprécier celle que j’étais, fondamentalement. C’était l’écho de la Femme qui résonnait en moi.

Chacun de nous possède une empreinte profonde à la fois unique et universelle. La première, rattachée à notre besoin d’individualité et de distinction trouve aujourd’hui beaucoup de réponses. Homme comme Femme, nous évoluons dans une société qui nous invite constamment à nous affirmer dans nos différences. Malgré des avancées quant au partage des tâches et de l’espace professionnel, nous rapprochons-nous vraiment les uns des autres ou continuons-nous à creuser le fossé qui nous sépare ?

J’ai souvent l’impression que les rôles sociaux n’ont pas beaucoup été ébranlés dans leur définition primaire. Il me semble plutôt que nous avons simplement appris à changer de place à l’intérieur de carcans qui nous étouffent, Homme comme Femme. Il y a une quête plus grande que la complémentarité des responsabilités, quand on parle de liberté humaine, il y a la complétude et l’unité de l’être. Ces dimensions concernent l’empreinte universelle de la personne dans sa grandeur intérieure, et non sa compré­hension façonnée à même le poids de l’histoire.

Nous avons une nature intrin­sèque et des qualités d’être qui rythment la progression de la Vie en nous et autour de nous. Comme humains, nous sommes la Vie dans toutes ses dimensions, mais nous nous fragmentons nous-mêmes à force de vouloir être plutôt que d’être, simplement. Il y a, autour de nous, plusieurs éléments qui nous interpellent et nous rappellent notre essence. La nature regorge d’aide-mémoire. La Femme et la terre s’expriment communément. Toutes deux porteuses de fertilité, elles peuvent donner naissance à la vie, à condition qu’elles respectent leur origine intérieure.

Pour goûter les fruits de la terre, la capacité à recevoir est essentielle. Accueillir la pluie, le soleil, la semence, comme la promesse d’une croissance. Vénérer la passivité qui permet que se déposent en profondeur les ferments nécessaires à la création. Ne pas craindre la vulnérabilité que présente l’inattendu climatique, car elle offre l’opportunité du soin donné par autrui et révèle la valeur de l’attention. La liste est longue pour faire l’éloge de la Terre, symbole du féminin sacré : célébrer la lenteur, la présence attentive, la patience, l’intériorité, l’écoute du sensible imperceptible dans le mouvement, l’amour de soi menant à l’amour de l’autre, comme un processus incontournable pour se mettre au monde et perpétuer la vie.

Mais la Terre a la vie dure par les temps qui courent. Ce n’est pas la matière que nous négligeons d’abord, mais tout ce à quoi elle nous appelle intérieurement. La fertilité naît d’une rencontre. La détérioration de la Terre parle de l’état de notre rapport à ce qui est intime en nous et entre nous. La Terre constitue le cœur de la Vie et la Vie chez l’être origine du cœur. À l’exemple de la petite Marie, la rencontre d’un enfant avec ce qu’il est n’est pas réfléchi mais ressenti. Bien des femmes ont oublié la richesse des qualités fondamentales de leur cœur. Elles en appellent à l’Homme pour qu’il soit ce qu’elles ont elles-mêmes mis en veilleuse. Mais nous sommes lumière l’un de l’autre dans la rencontre. Celle-ci n’est pas affaire de rôles partagés mais d’essence unifiée.

Chacun de nous doit d’abord reconnaître ce qu’il porte et en témoigner avec fierté, sans peur d’être jugé et sans prétention, simplement. Chacun de nous doit apprendre à écouter l’autre dans ce qu’il exprime, comme l’écho de ses propres forces qui sommeillent. En devenant complets en nous-mêmes, survient la possibilité de féconder la vie dans chacune de nos paroles, dans chacun de nos gestes et de nos engagements. Donner la vie n’est pas exclusivement affaire de Femme, elle nous concerne tous. Nous ne sommes pas complémentaires, nous sommes Un.

Je célèbre la Femme que je suis. Je célèbre ta beauté, Homme. J’ai besoin de toi pour ne plus oublier. Je me rappelle, en ta présence, que je peux être affirmative, déter­minée, énergique, vive d’esprit. Je te rappelle que tu peux être sensible, attentif, généreux, patient. Ensemble, nous pouvons devenir présents à la totalité de la vie profonde qui nous habite et donner naissance à l’immensité de la Vie, sous toutes ses formes.

Et vous, êtes-vous prêts à donner la Vie ?