RECONNAISSANCE
Où que vous alliez, les apparences se transforment, mais l’expérience de vie demeure la même. L’humain qui approfondit le voyage devient de plus en plus sédentaire. Le nombre de destinations diminue, mais l’intensité de l’expérience croît. Vous possédez en vous-même toute la vie. Devenez présent à celle-ci, à chaque instant, et remerciez-la.

ARTICLE
La relaxation profonde
et l'art du Chi
Par Pierre Boogaerts

La détente physique et mentale est incontournable dans toutes les techniques pratiquées dans L’Art du Chi, qu’il s’agisse des techniques de manipulation du Chi ou de la pratique du Qi Gong et du Tai Ji Quan, et que la position du corps soit debout, assise ou couchée. Parmi les outils visant à cultiver cette détente, la relaxation profonde constitue un joyau remarquable.

Confort et bien-être, se pourrait-il que derrière ces notions se cache la vie ? Oui, la Vie ! Cette explosion, ce jaillissement qui s’oppose à la mort. Cette vie tout à la fois fragile et forte, tellement évidente lors de la naissance d’un petit être. Confort et facilité, ces mots synonymes de réussite sociale, mais aussi de paresse et vacuité… Ces mots prennent une tout autre tournure à la lumière d’une relaxation profonde. Mais d’abord, une précision : la relaxation n’est pas une simple détente. Tellement de choses peuvent nous détendre : du Mozart, un martini, un bain, le sport, le sexe… Certaines choses nous apaisent, mais notre détente dépend d’elles. Ce que nous recherchons à travers la relaxation est différent. Nous travaillerons à ne plus dépendre d’objets extérieurs, mais à être. Tout simplement.

Ne pas bouger
Un minimum de confort, tant de corps que d’esprit, est indispensable. Un matelas d’exercice, pas trop mince, pas trop dur, pas trop mou ; étendus sur le dos, une couverture nous tient au chaud, nous avons placé un coussin sous les genoux, si nous avons tendance au mal de dos. La pièce est silencieuse et il n’y a aucun risque d’être interrompus… Enfin seuls ! Nous soupirons et essayons de nous détendre. Notre premier réflexe sera de bouger un bras, une main, la jambe, la tête… Ces mouvements nous permettent de nous installer plus confortablement.

Malheureusement, ce confort est de courte durée. À plus ou moins brève échéance, il nous faudra bouger à nouveau sous peine de douleurs qui ne feront que s’accentuer. Mais comme ces ajustements du corps sont souvent spontanés, ils passent facilement inaperçus et, comme la relaxation profonde suppose qu’on ne bouge plus, il nous faudra être très vigilants.

Quoi ? Rester ainsi sans bouger, parfois pendant une heure et demie, deux heures ou plus et sans aucun inconfort, ce n’est pas possible, même lorsque je dors, je me retourne régulièrement !

La solution se trouve à l’intérieur. Nous allons effectivement cesser de bouger à l’extérieur, mais pour atteindre le vrai confort, il nous faudra bouger à l’intérieur. Allons-y.

Ne pas dormir
Au début du relâchement musculaire, même très partiel, l’esprit en profitera pour vagabonder de plus belle et il s’embourbera très vite dans le sommeil. C’est que, d’une part, nous sommes habitués à laisser aller l’esprit lorsque le corps se repose et, d’autre part, pour l’esprit, la frontière entre l’état de veille et celui du sommeil est loin d’être évidente, la conscience poursuivant son monologue intérieur sans aucune transition. Après un cours de relaxation, de nombreuses personnes affirment ne pas s’être endormies, alors que leurs ronflements ont dérangé bien des participants ! Donc, à nouveau, il va falloir redoubler de vigilance et apprendre à observer son mental.

En fait, il faudra le tenir en laisse et, comme pour apprivoiser un animal, nous lui donnerons un travail à faire : observer le corps. Et nous le récompenserons avec le mieux-être. Mais il faut savoir qu’en demandant au mental ce degré d’attention au corps, de le scruter dans ses moindres détails, « de le sentir et non plus de se contenter de le penser », nous lui en demandons beaucoup ! Car jusqu’ici nous avons entraîné notre mental à ignorer le corps et, maintenant, nous lui demandons l’inverse ; il faut s’attendre à de sérieuses ruades de sa part ! Mais poursuivons.

Se faire comprendre
Lorsque nous voulons avancer, nous marchons ; lorsque nous voulons nous expliquer, nous parlons ; lorsque nous sommes en bonne santé, les muscles nous comprennent. Mais pourquoi, alors, semblent-ils ne pas me comprendre lorsque je leur demande de se détendre ? Si je veux relâcher mes épaules, par exemple, c’est comme si je leur demandais la lune ! À un point tel que je me demande, en toute logique, si ces épaules sont bien les miennes, tellement elles font la sourde oreille ! C’est que, pour marcher et parler, nous nous sommes entraînés durant des années, alors que nous n’avons pas vraiment appris à détendre « ce qui nous permet de nous tenir debout, d’agir dans le monde et de vivre » ! Détendre ses muscles, c’est s’abandonner à la pesanteur et, comme l’enfant qui ne veut pas s’endormir parce qu’inconsciemment il ne veut pas mourir, il nous faudra traverser les mêmes peurs inconscientes et distinguer le relâchement musculaire du moment du trépas !

Pour réaliser ce lâcher-prise, il nous faut apprendre à parler à nos muscles, c’est-à-dire à parler vers l’intérieur et non plus vers l’extérieur. C’est comme apprendre une nouvelle langue. Quand nous sommes en voyage, nous ne comprenons rien de ce qui se dit. Que faire ? Avant tout, ne pas se lancer dans de longues tirades, être simples : je dis « Pierre » en me montrant du doigt, je dis « chaise » en montrant la chaise, etc. Voilà comment nous allons nous faire comprendre par le corps. Ainsi, lorsque je prononce mentalement, par exemple « lourd », je porte en même temps mon attention sur l’arrière de mes épaules (qui s’enfoncent naturellement dans le matelas, bien plus que la zone de la nuque). Je n’ai donc qu’à constater pour sentir physiquement ce que je dis. Cela ressemble étrangement à devenir ce que je pense. Quel programme ! Eh oui, se comprendre vraiment c’est devenir amis, amants même ! Ce ne sera pas parfait ni total tout de suite, bien sûr. Mais un jour…

Le bonheur
Grâce à la détente musculaire, notre contact avec le sol se transforme. Nous sommes maintenant sur un lit idéal. Notre corps épouse le sol ; on dirait deux pièces de puzzle qui s’emboîtent exactement, permettant à l’image d’ensemble de devenir lisible : le matelas, le sol, la terre, mon corps, moi. Je ne distingue plus les frontières qui séparent ces différentes pièces. C’est la même substance, le même Chi. Ce miracle, naturel et même banal pour n’importe quel animal, est exceptionnel pour l’homme civilisé. C’est pourtant un bonheur total. Sans objet. Il est vrai qu’il nous aura fallu aussi travailler avec le tantien (centre de gravité et centre énergétique du corps). C’est lui qui nous permet d’atteindre ce confort incomparable en transformant la chute des muscles en légèreté.

Cette relation entre je pense, je veux, je suis, est au cœur de l’Art du Chi et de la relaxation profonde. Comme elle est au cœur de toutes les disciplines traditionnelles venant d’Extrême-Orient, comme le yoga, le zen, le Tai Ji Quan et, évidemment, la méditation.

Lorsque nous plaçons notre corps en relaxation profonde, notre attention devient extrêmement aiguisée. La cacophonie entre le corps et l’esprit cesse. Un profond accord s’installe entre les muscles et la volonté. Le Chi apparaît alors dans toute sa puissance et nous nous rendons compte que c’est lui, l’accord profond. Le Chi, l’énergie vitale, notre corps, notre mental, notre vie, c’est lui. Le voile se lève et nous réalisons que notre vie est la Vie.

L’Art du Chi (Qi, énergie vitale) englobe toutes les disciplines traditionnelles venant d’Extrême-Orient, dans la mesure où les techniques qu’on y enseigne sont celles tout autant utilisées dans le yoga, le zen, l’acupuncture, la méditation, les arts martiaux, la calligraphie, etc.

Vlady Stévanovitch (1925 – 2005) a mis au point une méthode particulièrement efficace pour apprendre ces techniques. Cette méthode a aussi la particularité d’être exempte de toute référence théorique et culturelle.