INVITATION
La vie est un voyage. Elle se manifeste en toute chose, en tout lieu,
en toute rencontre. Elle nous appelle, à travers les expériences et découvertes qu’elle nous propose, à ouvrir nos horizons et à dépasser le confort du connu, pour explorer ses infinies possibilités. Nous vous offrons ici d’entrer dans l’univers de la vie.

ARTICLE

À la racine du goût
Par Héva-Anne Brunelle

Selon des recherches démontrant le lien entre la nutrition et les maladies cardiovasculaires, le régime méditerranéen contribuerait à une meilleure santé. Cependant, on ne précise jamais ou presque jamais ce qui suit : sans des produits de qualité, la diète médi­terranéenne perd tout son sens. Si l’on mange des légumes inodores et insipides, si le peu de viandes permis provient d’animaux gardés dans des conditions de stress, si le poisson tant recommandé est élevé avec des antibiotiques, alors quel est l’avantage de s’efforcer à cuisiner méditerranéen ?

L’industrie agroalimentaire est en train de s’approprier les bases fondamentales de la vie, transformant le repas familial et social en indigestion solitaire de Fast Food. On ne mange plus, on ne fait que se nourrir. L’industrie agroalimentaire augmente de plus en plus sa production au détriment de la qualité, ce qui nous fait perdre tranquillement le plaisir de manger.

Quand on pense à la gastronomie, on y associe plus souvent que jamais l’image de gens aisés financièrement, qui peuvent se permettre de dépenser beaucoup d’argent pour des repas dans des grands restaurants. Bref, comme si les plaisirs de la table étaient réservés exclusivement à certains privilégiés. Nier le plaisir de manger est, en quelque sorte, nier notre habileté à satisfaire nos propres sens et notre capacité critique à comprendre et faire des choix pour nous. En d’autres termes, c’est perdre notre souveraineté alimentaire. Le plaisir ne devrait surtout pas être synonyme d’excès, mais plutôt de mesure. Le bon sens devrait s’appliquer à chacun des moments de notre vie !

Le Slow Food, fondé en 1986 à Bra en Italie, est un mouvement qui réagit contre la globalisation et la standardisation des aliments. L’escargot est l’emblème de cette révolution lente mais constante et acharnée. En réponse à l’émergence de la restau­ration rapide, l’initiative italienne s’est donné pour mission de faire l’éloge de la lenteur à table. Cette association internationale à but non lucratif est aujourd’hui présente dans plus de 150 pays. Elle promeut la connaissance et les plaisirs de la nourriture, le respect de la nature et de ses cycles de production, la dignité des paysans, la biodiversité, ainsi que l’écogastronomie. Il est  actuellement presque impossible de trouver une autre association enracinée aussi solidement dans autant de lieux différents, aux quatre coins du monde, et ayant inspiré autant de réseaux et de mouvements « slow », dont Cittàslow, Slow Parenting, Slow Art, Slow Media, et bien d’autres.

La liste des projets déjà concrétisés est longue et comprend, notamment, la sauvegarde de la biodiversité, des traditions de production et de l’éducation au plaisir du goût et des sens, l’organisation du plus grand salon international alimentaire, l’idéalisation et la fondation de l’université des sciences gastronomiques, ainsi que la mise sur pied du réseau Terra Madre. Ce dernier constitue un grand rassemblement qui a lieu tous les deux ans et qui réunit les communautés de la nourriture, les chefs, les enseignants, les jeunes et les musiciens du monde entier ; leur but est de promouvoir une production alimentaire locale, durable, en équilibre avec notre planète et respectueuse des savoirs transmis de génération en génération.

Carlo Petrini, président fondateur du mouvement Terra Madre, affirme en effet : « Le futur appartient aux gourmets ! » Il s’agit de ceux pour qui la nourriture est importante et qui désirent que toutes ses extraordinaires caractéristiques puissent aussi susciter l’admiration des générations futures. Le mouvement s’adresse à ceux qui veulent profiter et jouir de la diversité des recettes et des saveurs, de la variété des lieux de production, de la créativité des artisans, ainsi que respecter le rythme des saisons et savourer les plaisirs de la table. Car qui sait apprécier les vraies valeurs des aliments, sait sauvegarder l’environnement et l’équilibre de l’écosystème. Quoi de plus agréable que de mordre dans une tomate juteuse et goûteuse ! Cette sensation de vitalité nous donne de la satisfaction, de la joie et du plaisir.

Allons encore plus loin. Imaginez que vous goûtez aux fromages faits par le même producteur, obtenus à partir du lait des mêmes vaches, mais produits à différentes périodes de l’année. C’est ainsi que vous pourriez sentir et percevoir les différentes caractéristiques que chaque saison apporte, dont la sorte de pâturage, les conditions climatiques, etc. Tous ces aspects qui peuvent caractériser le lait, tant ses éléments nutritifs que son goût, sa couleur, sa texture et son parfum original, permettront la fabrication d’un fromage tout à fait unique. Voilà l’expression de la nature !

Plus nous apprécions les aliments qui sont bons, propres et justes, plus nous désirons protéger notre planète Terre !

En effet, nous voulons des aliments qui sont bons, c’est-à-dire frais, goûteux et de saison, qui satisfont
nos sens et qui forment notre identité. Nous voulons des aliments qui sont propres, c’est-à-dire cultivés selon une méthode de production qui respecte l’environ­nement et la santé des êtres humains. Enfin, nous voulons des aliments qui sont justes, c’est-à-dire non seulement vendus à des prix accessibles aux consommateurs, mais aussi générant des revenus décents qui prennent en compte des droits de l’homme et des coûts de production sur le plan humain, social et environnemental.

Le meilleur moyen de se protéger contre les produits de mauvaise qualité, insiste Slow Food, est en éduquant notre goût. C’est le chemin tout indiqué pour éviter l’homologation de nos repas et assurer la sauvegarde des cuisines locales, des productions traditionnelles, ainsi que des espèces végétales et animales en voie d’extinction. Voilà une façon ingénieuse d’introduire un nouveau modèle d’agriculture moins intensif et plus naturel.

Notre plus grand défi, maintenant, consiste à se mettre à l’écoute de ce qui se passe en soi et de laisser de côté toute valorisation intellectuelle, pour l’unique plaisir d’éveiller nos sens à l’acte de goûter. Une fois en contact avec nos pulsions originelles et créatrices, il nous sera effectivement possible de goûter la vraie nature de la vie !