ÉVEIL
Vous êtes le véhicule qui traverse le voyage. Les endroits auxquels vous serez conviés changeront. La possibilité de poursuivre l’expérience de vie repose alors sur l’entretien constant que vous vous donnerez. Faites avec nous une pause et regardez avec quel carburant vous alimentez votre vie.

ARTICLE
Laissez-moi jouer !
Par Marie Claude Dumont

Il se dirigeait vers moi, titubant. Son regard ne me quittait pas des yeux. D’une main, il se tenait la poitrine, à l’endroit du cœur, retenant cette matière épaisse et dégoulinante qui semblait vouloir éclater. Au bout de son souffle, il n’arrivait plus à retenir ce flot qui sortait de lui. Il souffrait. Tout près de moi, il se laissa tomber. Son petit corps haletant gisait à mes pieds. Toujours la main cramponnée à sa poitrine, il lança dans un dernier soubresaut : « Maman, mon cœur ! » Il était déjà trop tard.

Jouer, c’est extrêmement sérieux.
Je pouffai de rire. J’étais absolu­ment étonnée de voir à quel point mes enfants peuvent se transporter d’un rôle à l’autre avec autant de sérieux. La matière qu’il tenait et qu’il faisait gicler était, en fait, un mélange de sable et d’eau. Et juste avec cette belle boue, il voulait me faire croire que son cœur éclatait. Il mourut donc à mes pieds, s’attendant à ce que j’entre, moi aussi, dans son suspense.

C’était le dernier dimanche avant la rentrée des classes, une parfaite journée chaude et ensoleillée du mois d’août. Nous en profitâmes pour jouer et nous amuser à la plage, mes deux enfants et moi.

Le sable a cette magie qui rend fécond l’imaginaire des enfants. Son contact sensoriel réveille une créativité triomphante chez l’enfant, à condition d’avoir l’esprit ouvert et pur. C’est comme plonger dans un univers infini où tout ce qui est construit devient le prolongement de l’esprit et du corps. L’union de l’imagination fertile et de la réalité.

Je profitais des derniers rayons du soleil d’été à savourer le plaisir que m’offrait le sable entre les orteils. Je me rappelle la fillette de deux ans à peine qui avait pris possession du camion à benne de mon fiston. Qu’elle était mignonne avec son maillot rose grisé par le sable ! Elle joua pendant une bonne heure avec le camion. Simplement à le remplir, à le vider, à le promener, à le remplir, à le promener, à le vider. Je la surpris aussi à regarder le camion pendant des minutes entières sans bouger. Mais qu’est-ce qui se passait dans sa petite tête d’enfant à ce moment-là ? J’aurais tant aimé le savoir. Son papa s’empressa de venir lui enlever le camion sous prétexte qu’il n’était pas à elle. Je voulus intervenir : « Non ! Laissez-là, je vous en prie ! Elle joue, bon sang ! » Ah ! ces adultes…

Et que dire du majestueux barrage que nous avions construit avec un canal d’une bonne dizaine de kilomètres au moins ! Nous étions tous agenouillés dans cette boue de sable à travailler pour que l’eau circule dans nos petites rivières sans que ça ne déborde…

À l’aube, le lendemain, les vagues auront tout ramené avec elles. Forteresses, monstres, châteaux, lacs… ainsi que tous nos beaux souvenirs. Pour laisser place à une nouvelle toile vierge, toute prête à accueillir des scénarios plus délirants les uns que les autres.

Et vous, dites-moi, quand avez-vous joué sérieusement ?