Voilà déjà un bon moment que je n’ai pas pris le temps de venir échanger avec toi (presque cinq ans). Tout va si vite. Tu me manques,
et comme nos partages m’ont toujours inspirée pour m’épanouir,
je choisis enfin de m’arrêter pour te parler. Comme tu te rappelles sûrement, il y avait à ta connaissance trois enfants qui évoluaient
à mes côtés. Tu sais à quel point la famille a toujours représenté pour moi l’axe de croissance et de réalisation le plus important qui soit. J’ai chéri chaque moment partagé avec mes enfants et traversé plusieurs stations. En accompagnant ceux-ci pour rencontrer ce qu’ils portaient
de plus grand et de plus fragile en eux-mêmes, c’est moi que je rencontrais. Tu m’as connue aimant la vie et débordante d’énergie, cherchant toujours les occasions de relever de nouveaux défis, alors écoute le dernier en liste.

À presque quarante ans, alors que je croyais retrouver une liberté nouvelle, alors que la marmaille s’orientait de plus en plus vers le départ, voilà qu’une grossesse inattendue s’est présentée. On croit
si souvent pouvoir planifier l’avenir, mais le présent nous rappelle
qu’il n’y a de possible que les choix à faire ici et maintenant. J’ai choisi
de donner vie à cette magnifique petite fille que j’ai nommée Rose. Je l’appelle ma renaissance, car c’en est une. Cet évènement m’a amenée
à mettre en perspective bien des choses dans ma vie. Évidemment, l’énergie physique étant moindre à ce stade, il a fallu ralentir, diminuer
le mouvement. Cette étape, qui a été enrichissante mais parfois difficile, m’a même menée, trois ans plus tard, à un épuisement.

Je t’ai reconnue dès les premiers mots de cette lettre. Tu me manques aussi, Élaine. Cette lettre que tu m’écris me fais entendre ta voix, tout comme il y a près de cinq ans, dans les échanges, les joies, les peines partagées ensemble qui alimentent encore aujourd’hui l’authenticité de notre amitié. Quelle joie de savoir que tu as donné naissance à un nouvel enfant et que cet enfant, Rose, t’aide à constater la distance parcourue entre l’unique vérité de ton être et ce que tu perçois aujourd’hui comme l’île lointaine où tu es rendue.

Élaine, je crois sincèrement que ce mouvement que tu désires arrêter
se termine sur cette île et, crois-moi, c’est sur cette île que ton voyage intérieur doit débuter. Comme tu le sais, l’harmonie se fait sentir quand on s’arrête, quand on accepte qui l’on est, ce que l’on a vécu, ce que l’on vit, et quand on se donne la chance de faire ce voyage intérieur, c’est l’harmonie qui s’installe. C’est vraiment merveilleux que la vie, que Rose te fasse voir cette chance. Tu sais, l’île où tu te trouves est ton lieu de départ. Qu’est-ce que tu dirais si tu te créais, chez toi, un lieu de départ ? Si tu imaginais et réalisais un endroit pour toi, où tu pourrais retrouver le calme, la paix et la sérénité ?

Pour ma part, je me sens bien, Nathalie et moi sommes bien ensemble
et nous continuons de nourrir des projets merveilleux. Les enfants grandissent et leur amour de la vie me nourrit chaque jour davantage.

Toi, mon ami si précieux, quel bonheur de te retrouver. Tu demeures
tel que je te sens, si sensible, si profond, si plein de vie au-dedans.
Tes mots me calment, me bercent comme les bras d’une mère, me font rêver. Alors que les rêves surgissent lorsque nous sommes endormis, toi, tu m’éveilles. Ce n’est donc pas d’un rêve qu’il s’agit, mais plutôt
de ce que j’ai oublié de ma vie, affairée que j’étais à la poursuivre plutôt qu’à la vivre. Je ressens une île… Elle est immense et inconnue, et j’ai tout à y découvrir. Je sens des effluves de trèfles et d’air marin. Je vois des arbres fiers et nobles, et des fleurs sauvages de toutes les couleurs. Je goûte un vent salé. J’entends une symphonie d’oiseaux que je ne connais pas. Mes pieds qui foulent le sol sont caressés par un sable chaud et doux. Mon corps exulte de ses sens. Mon cœur palpite, il est
à la fois fébrile et heureux. Mes pensées se bousculent et semblent s’élever vers un ailleurs, comme si elles disparaissaient de ma tête pour rejoindre un espace où tout est clair et limpide. Dans ce lieu, il n’y a plus de confusion, plus de division, tout est uni. Toi, mon ami qui me reçoit si bien de l’intérieur, celui que je connais si près de la création, je t’invite sur mon île pour y construire un espace où me réfugier chez moi.

Je vois que la sensibilité et la vie que tu portes en toi te permettent aujourd’hui d’habiter ce lieu. Ce que tu vis me remplit de bonheur et je me sens en harmonie avec toi. Maintenant, l’expression de cette vie en toi te permettra de composer ce lieu. Ce chantier que tu entreprends va te prendre une vie à bâtir et sera transmis à ceux que tu aimes par la vie qui émanera de toi. Élaine, quels sont pour toi les objets et ornements qui représentent la vie, qui ont une signification pour toi ? Les formes, les couleurs, les matières qui t’inspirent à visiter ton intérieur ? Quels sont les soins qui, chaque jour, te permettent de vivre une expérience intérieure ? Dis-moi, comment habites-tu ce lieu ? Que représente-t-il pour toi ?

Me revoilà. Tes questions m’animent, stimulent mon essence et mon imagination. Ce que tu me proposes, c’est de définir dans la plus profonde authenticité un lieu qui me ressemble, alors le voici. Cet espace n’est pas très grand, car j’aime l’intimité et la proximité. Toutefois,
il est principalement entouré de fenêtres parce que je cherche toujours la lumière en chaque chose. Il y fait modérément chaud. En son centre, il y a un bain dans lequel je peux plonger afin de m’aider à retourner à mes mémoires les plus profondes. Les objets qui composent ce lieu sont faits de matières nobles (bois, pierres, marbre et cristal), pour me rappeler que je suis liée à la terre par une même énergie et que je dois en prendre soin. J’y ajoute des couleurs de rouge terre, d’ocre et d’orangé. Je suis d’une nature aérienne, je suis souvent prête à m’envoler, j’ai donc besoin de m’enraciner. Les textures sont naturelles (soie, lin et bambou) pour rejoindre à la fois ma simplicité et mon besoin de raffinement. Les arômes y évoluent selon mes états d’âme, soit pour les rejoindre ou pour les équilibrer lorsque je sens trop les mouvements intérieurs. Il y a, bien sûr, de la musique qui sert les mêmes vertus.
Tout ce qui s’y trouve recouvre des formes souples, stylisées et fluides : je suis allergique à la rigidité. Enfin, je crée des rituels selon les heures de ma journée, pour répondre à des besoins différents. Cet espace est
le mien, je m’y sens pleinement moi, respectée et honorée,
en communion avec la vie.

Voilà, c’est quand même incroyable d’imaginer comment devenir un être humain épanoui, vivant dans toutes ses dimensions, physiques, mentales, émotionnelles et énergétiques. Maintenant, il me reste à
le réaliser. À bientôt, mon ami, dans six mois pour en connaître la suite. Je te dirai alors comment j’ai finalement commencé ma salle de bain, que l’on pourra dire vivante.