ÉVEIL
Vous êtes le véhicule qui traverse le voyage. Les endroits auxquels vous serez conviés changeront. La possibilité de poursuivre l’expérience de vie repose alors sur l’entretien constant que vous vous donnerez. Faites avec nous une pause et regardez avec quel carburant vous alimentez votre vie.

ARTICLE
Compostelle
Un chemin menant vers soi
Par Jacques Morin

Je n’ai jamais su pourquoi mes parents m’avaient donné le nom de Jacques. Ma grand-mère, un jour, m’avait dit qu’elle aimerait m’amener à St-Jacques de Compostelle, à cause de mon « saint patron ». La première femme avec qui j’avais partagé un moment d’intimité significatif était espagnole. Elle aussi m’avait proposé de m’emmener
à St-Jacques de Compostelle.

Beaucoup plus tard, je me suis intéressé à la question de cette aventure, de ce pèlerinage, moi qui n’aimais pas marcher. En feuilletant un livre sur le sujet à la bibliothèque, des larmes se mirent à couler sur mes joues. Pourtant, il n’y avait que des sentiers, des marcheurs et quelques beaux paysages. Normalement, j’aurais été plus impressionné par les motos ou les châteaux de la Loire. Je ne comprenais pas d’où venait cette émotion. Curieux de nature, je sentais que cette « piste » était à explorer.

Mais comment entreprendre la traversée de l’Espagne quand on n’aime pas marcher ? J’assistai à plusieurs réunions de marcheurs se préparant à l’aventure de Compostelle, sans grande passion. En fait, je trouvais plutôt ennuyeux d’entendre parler de chaussures de marche, de vêtements spécialisés, de la vie dans les refuges, d’ampoules, de tendinites et d’anti-inflammatoires.

Après le départ de mon père, une étape importante de ma vie, je me sentais prêt à faire cette longue marche, pressentant que quelque chose de significatif allait peut-être se passer. Je me suis préparé au meilleur de ma connaissance. J’ai marché plusieurs fois sur des distances de quinze à vingt-cinq kilomètres, en tentant de reproduire les conditions de l’aventure qui m’attendait. J’ai lu le moins possible sur la question afin de me réserver le maximum de surprises sur la route. Quelques jours avant mon départ, un vieil ami croisé dans la rue me dit : « Réalises-tu que, pendant ce voyage, tu vas dormir chaque soir dans un endroit que tu n’as jamais vu et que tu ne reverras probablement jamais de ta vie ? » Je découvris plus tard combien il avait raison…

Une fois de retour, j’ai lu une phrase dont le sens ne m’a jamais quitté depuis. Extraite d’un vieux livre qui traitait du mystère entourant le Chemin de Compostelle, elle allait comme suit : « L’homme ne peut savoir que lorsqu’il s’est personnellement hissé au niveau de la vérité qu’il recherche. » Par la suite, plusieurs questions sur la vérité que je recherchais se sont mises en marche en moi. Il était clair que ce qu’on appelle le bonheur était ma quête, tout comme elle l’était pour plusieurs. J’ai orienté mes activités personnelles et professionnelles dans ce sens, et cherché, trouvé, cherché encore. Je sentais ainsi que j’avançais, mais toujours vers de nouveaux défis.

N’étant ni randonneur ni grand marcheur, jamais je n’aurais imaginé
que la rivière de la vie m’amènerait un jour à traverser l’Espagne avec
un sac à dos. Ma plus grande surprise fut de constater que cette
expérience m’inciterait, plus que toute autre, à bien garder les pieds
sur terre, en d’autres termes, à m’enraciner !

Une autre recherche importante sur le chemin de ma vie fut l’expérience du silence. Après quatre années d’un travail très stimulant pour une multinationale, j’avais pris un virage à cent-quatre-vingt degrés : bénévolat pour des personnes isolées socialement, ainsi que séjours dans quelques monastères du Québec, de France et de Belgique. Ces expériences m’avaient ouvert encore plus à mes besoins. C’est donc
à ce moment précis, à la suite du décès de mon père, que je me suis
senti prêt à prendre ce chemin en dehors des sentiers battus… moi
qui n’aimais pas particulièrement marcher !

Le plus grand défi sur le chemin de Compostelle est, à mon avis, de respecter son propre rythme de marche. Poussé par un objectif d’étape ou encore désireux de suivre une personne ou un groupe, il est « facile » d’aller trop vite… Je crois qu’on fait le Chemin pour apprendre à ralentir… La plus grande leçon est d’en arriver à avoir assez de respect envers soi-même pour « ménager sa monture ». C’est le manque de connexion à nos signaux corporels qui mène à l’épuisement physique, aux ampoules, aux tendinites.

Si l’homme doit s’élever au niveau de la vérité qu’il recherche, pour moi, le Chemin a été le déclencheur d’une quête, celle de la capacité à me respecter davantage. Avec un sac à dos, chaque pas sur le chemin ramène à la réalité physique de l’être et de ses limites. Le corps peut très vite et brutalement devenir inapte à continuer d’avancer. La déshydratation entraîne des tendinites, la trop grande charge sur les épaules, des ampoules aux pieds, le manque de concentration, des entorses, et bien d’autres conséquences pénalisantes.

Dans notre quotidien au travail, c’est identique. La notion d’enracinement, de contact avec mon corps est vitale. Si je suis
dans ma tête, je finis par m’étourdir et me déraciner. Je me détache graduellement des signaux importants que mon corps m’envoie et je m’éloigne progressivement de ses vrais besoins. Il n’y a pas de performance durable ni de profits réels, si je ne respecte pas mon corps. La « machine humaine », surtout si on la traite comme une machine, s’épuise et prend du temps à se réparer. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le sentiment d’épuisement grandit constamment dans notre modèle actuel de société.

Depuis mon retour de Compostelle, il y a plus de sept ans, j’ai poursuivi ma recherche du mieux-être. J’ai aussi développé des outils autant physiques que psychologiques que je mets en pratique. Je les transmets d’ailleurs au public et aux entreprises sous forme de formations au cours desquelles se fait l’expérience de Compostelle et s’établissent les parallèles avec le quotidien au travail. Accompagner des personnes dans la gestion de leur propre capital humain m’apporte une immense satisfaction et continue à se faire, petit pas par petit pas.

Je vis maintenant en contact conscient et presque permanent avec la terre. Les quelques rares périodes de séparation sont ponctuées de la recherche d’herbe, d’arbres, de parcs et de sentiers où je peux me reconnecter à cette expérience d’enracinement.