INSPIRATION
Chaque station de vie donne au véhicule des choix de ravitaillement. Les sources de vie sont multiples et infinies. Elles nourrissent différentes dimensions de l’être. Elles servent au renouvellement de l’énergie nécessaire à l’accomplissement de votre voyage. Découvrez avec nous et en vous ces sources inépuisables et souvent oubliées.


CHRONIQUE
Chronique d'un
Salle de bain vivante
Par Élaine Drolet et Louis Gendreau


Cher Louis,

Nous nous retrouvons six mois plus tard, alors que tant d’évènements ont ponctué ma vie. Quelques mois dans toute une existence, c’est si peu et pourtant, cela peut être tellement long. En vérité, ce n’est pas le temps qui dicte le cours de notre vie, mais plutôt cette capacité que nous avons à vivre en profondeur les expériences rencontrées. Je me sens, à chaque jour, émerveillée par la simple beauté de tout ce qui m’est donné, sans tambour ni trompette. Ma gratitude à l’égard de ma vie et de la Vie grandit. Je dois te dire que toi et ton projet de salle de bain vivante y êtes pour beaucoup.

Voilà, lors de notre dernier échange, je t’avais exprimé une certaine lassitude. Non pas que j’étais malheureuse, mais plutôt un peu éparpillée à l’intérieur. Tu m’as fait comprendre qu’en cherchant à l’extérieur (dans de nouveaux défis, de nouveaux projets, de nouvelles amitiés…), je risquais de perdre mon énergie plutôt que de la retrouver. Tu m’as invitée à imaginer une île en moi, celle qui correspondait parfaitement à mon essence. Tu m’as ensuite proposé de construire chez moi un lieu de retraite pour me rappeler, ou davantage pour ne plus oublier, celle que j’étais. Je l’ai fait. Cette oasis, si modeste soit-elle, me permet chaque jour de trouver refuge en mon cœur, peu importe les vents qui soufflent à l’extérieur. Je pourrais t’en parler des heures et des heures, mais j’ai aussi besoin de t’entendre. J’ai toujours l’impression de devenir plus vraie et plus entière quand la puissance de tes émotions partagées me touche. Aussi, j’ai besoin de l’expression de ta vie et de tes questionnements. Je t’attends et t’envoie une tonne d’amour universel.

Élaine


Mon amie Élaine,

Je suis heureux de te lire à nouveau. Plus de six mois se sont écoulés ; j’avais hâte de savoir comment se pour­suivait le voyage que tu as entrepris. Je suis content de voir que l’oasis que tu as eu le courage de percevoir en toi se réalise, que tu reconnais et reçois tout ce que la vie te propose et que s’édifie un lieu où tu peux te retrouver et célébrer la vie.

Pour ma part, j’ai passé un été merveilleux à vivre des choses très intenses. Tout comme toi, je subis
avec les années la pression du travail. Je vis aussi une nouvelle réalité familiale. Âgés entre 18 et 22 ans,
mes quatre enfants prennent leur envol tour à tour. C’est à la fois beau de les voir entreprendre cette phase de vie et difficile pour moi de franchir cette étape.

Il me semble que le fait qu’ils quittent ainsi la maison, un à un, crée un vide et me place face à moi-même.
Ce n’est pas seulement le vide des espaces de la maison ou l’absence des bruits quotidiens, mais aussi une nouvelle réalité où des êtres qui sont partis vont l’habiter différemment. En même temps, je prends
toujours le temps d’observer ce qui m’habite et m’entoure.

En ce sens, Nathalie et moi, nous avons eu la chance, durant nos vacances, de rencontrer des gens merveilleux qui résident dans un endroit magnifique. Un lieu où la terre, l’air et l’eau représentent une harmonie parfaite qui leur ressemble et semble faite pour eux et les gens qu’ils accueillent. Il est certain que de partager des moments privilégiés avec ces personnes et dans ces lieux nous a fait beaucoup de bien, à tous les deux.

Voilà ce que je vis, mon amie. Je te remercie de me donner la chance d’avoir cette rencontre avec toi. J’ai hâte de te lire à nouveau et je t’envoie aussi, à mon tour, une tonne d’amour universel.

Louis




Mon ami,

Cette étape de vie que tu traverses semble merveilleuse. Malgré la transition qu’elle oblige et l’apprivoisement des sentiments qu’elle provoque, je sens un retour à la source pour toi. Moins de mouvements, moins de bruits, moins de sollicitations accessoires de tous et de tout. Tu baignes davantage dans le moment présent et tout ce qui te fait vivre reprend son sens. Aussi, parce que tu ne cherches pas à atteindre quelque chose, mais que tu es plus disponible à ce qui est, ton quotidien se transforme. Cela ressemble un peu à ce que je te partageais dans ma lettre précédente.

Les êtres humains traversent tant de stations au cours d’une vie. Il y a des moments où l’on a l’impression qu’une force extérieure nous presse à être partout à la fois : se donner pour ses enfants, se donner pour son travail, se donner pour ses parents vieillissants, se donner pour un frère ou une sœur en difficulté, se donner pour un ami qui ressent le chaos ou le vide, tant d’appels auxquels répondre simultanément, avec la capacité physique de n’être qu’à un seul endroit à la fois. Quand ces moments arrivent, on a le cœur coincé entre le désir de servir et le poids de la réalité qui nous limite. On ressent l’impuissance, parfois la culpabilité ou la tristesse. On voudrait tellement « faire » davantage. Et le plus drôle dans tout cela c’est que, quand cette pression monte, on cherche à en faire plus. On réorganise notre vie pour pouvoir en faire rentrer plus, du moins c’est ce que l’on croit. Souvent, on fait rentrer plus de responsabilités, mais moins de vie en nous-mêmes.

De ton côté, je vois que la réalité de la vie te ramène aussi à l’essentiel. C’est comme si l’être humain, pour devenir plus humble face à la place qu’il occupe dans l’univers, devait recevoir quelques leçons. Il y a des leçons mineures comme les conflits au quotidien, les incompréhensions entre collègues, les imprévus qui bousculent nos plans routiniers, personnellement ou professionnellement, de petits clins d’œil récurrents qui nous demandent d’apprendre le lâcher-prise. Souvent, on ne voit rien, poussés par notre élan de combativité, habités par notre désir de dominer le cours de la vie, plutôt que de l’accueillir et d’écouter ce qu’elle a à nous enseigner. Puis il y a les leçons majeures, la maladie, la mort d’un être cher, une séparation, une dépression, des coups que l’on reçoit en plein visage ou plutôt en plein cœur, qui nous jettent à terre, nous immobilisent enfin pour nous obliger à écouter ce qui vit plus profondément sur cette île en nous.

Louis, j’ai conçu chez moi l’espace dont nous avions parlé. C’est intime chez moi ; il n’y a pas d’ostentation. J’ai pris une petite pièce. Il y a en son centre un bain thérapeutique. J’y ai aussi mis une chaise ergonomique. Les planchers sont en pin. Les murs sont ocre. Il y a aussi une petite table avec un dessus en marbre doré d’Italie. Je l’ai drapée d’un morceau de soie brute couleur crème. Et j’y ai déposé deux chandeliers de vieux cuivre avec des chandelles en cire d’abeille, et un petit support sculpté en bois pour l’encens. J’ai accroché au mur la reproduction d’une très belle icône peinte par Michel-Ange. Je dois dire que je voue un culte à la femme et à la mère. Cette image m’aide à me rappeler qui je suis.

Il y a une grande fenêtre orientée à l’est, là où le soleil se lève. Tout a sa place et sa signification pour moi. Cet espace est simple et symbolique. Je commence toutes mes journées à cet endroit. Je me suis créée un rituel incontournable. À mon éveil vers 5 h 30 du matin, je m’assois dix minutes dans ma chaise, face à la fenêtre. Je prends un bain de soleil ou de lumière, cela dépend des jours. Ensuite, je fais dix minutes de soins dans mon bain avec chromothérapie et massage combinés. Je replace par la suite la chaise vers ma table de marbre, j’allume mes chandelles et de l’encens pur, puis je m’allonge au moins quinze minutes dans un état de contemplation. J’essaie de faire taire les mouvements de mon esprit. Il y a des matins où je réussis mieux que d’autres, mais je m’efforce de ne pas me juger en termes de performance, désirant simplement me rendre disponible à mon état du moment. Je prends conscience de tous mes sens et je remercie ce corps qui est le mien et les expériences qu’il me permettra de vivre au cours de la journée.

Cette façon de faire qui me semblait au début exigeante, je ne peux plus m’en passer. S’il arrive que je ne puisse pas la vivre, j’en ressens immédiatement les effets sur moi et sur mon énergie dans la journée. Avec mon rituel, je me sens moins éparpillée. Je fais encore beaucoup de choses, mais je choisis avec plus de discernement ce à quoi je dis oui. Étrangement, les sentiments d’impuissance et de culpabilité ont grandement diminué. Même si je ne peux être partout à la fois, je suis habitée par un sentiment de commu­nion plus intense avec les gens qui croisent ma route, comme si je continuais à leur donner, mais différemment. Je te parlerai de ce changement intérieur lors de notre prochain échange.

Je finis pour cette fois en te racontant ce qui suit. Quand j’ai commencé mes rituels, les enfants riaient de moi, bien entendu. Ils me disaient que, si je voulais être une religieuse, j’avais vraiment manqué ma vocation et qu’il était trop tard. Mais voilà que ma petite Rose vient de plus en plus souvent me retrouver en ce lieu. Elle arrive avec son Jules (son ours fétiche), tout ensommeillée vers 6 h, me grimpe dessus et ne dis pas un mot. Ce qui est incroyable, c’est que son comportement devient de plus en plus émerveillé. Parfois, lorsque nous sortons pour aller à la garderie, elle me montre des éléments de la nature et dis : « Maman, regarde comme c’est magnifique ! » Elle ne faisait pas cela avant.

Hier vers 16 h, j’ai surpris mon fils de 16 ans bien installé dans ma chaise, face à la fenêtre. Je suis passée sans faire de bruit parce que je crois qu’il serait alors sorti en courant… J’ai hâte de voir la suite. Je me rends compte que cet espace est de plus en plus une invitation et un refuge. J’aurais voulu expliquer à mes enfants l’importance de leur vie intérieure et ils auraient écouté poliment, en attendant de retourner à leurs jeux vidéos. L’existence de ce lieu fait un travail que je n’aurais pu faire. Par sa simple présence, sans l’exigence d’une explication rationnelle qui assomme, elle matérialise la paix. C’est merveilleux.

Assez ! Je t’embrasse et te dis à la prochaine. Puisse la joie qui m’habite résonner jusqu’à toi !

Élaine